Pourquoi je me suis engagée pour la communauté et l’activisme
Amélie et moi à l'une des nombres marches pour la Palestine. Brooklyn, été 2024
Ou comment se sentir entier dans un monde morcelé
6 mars 2024
Avec mon amie Amélie, cela faisait déjà quelque temps qu’on envisageait de collaborer ensemble sur une initiative activiste, de changement social. Son expertise, combinée à la mienne, on sentait qu’on pouvait créer quelque chose de grand, d’expansif, autour du partage et de l’expérience collective.
Refuser la torpeur
Quand le massacre en Palestine a commencé à l’automne 2023, nous avons trouvé refuge l’une dans l’autre – et dans les autres – de manière tout à fait naturelle, à travers l’amitié et l’engagement qui nous liaient. Mais aussi parce qu’on se rendait compte des limites que certaines personnes autour de nous se mettaient à elles-mêmes, choisissant de ne pas voir ce qu’il se passait, préférant l’ignorance, le cynisme, ou la torpeur, et barrant la route à toute émotion qu’un tel désastre faisait naturellement surgir. On sentait qu’au lieu de faire face et d’embrasser leurs émotions, elles préféraient se cacher derrière de fausses batailles sémantiques, plongeant droit dans une sorte de rationalité vidée de raison. A l’accueil incarné du réel, ces personnes préféraient des postures intellectuelles qui, loin d’élargir nos champs de lucidité, condamnaient nos relations à une stérilité morbide.
Nos émotions à nous, elles débordaient, elles se déversaient dans un flot continu, ininterrompu, et plutôt que d’essayer de les contenir, on a préféré les laisser tout inonder, croître et créer un courant fertile pour tenter de créer du lien, du soin, du collective healing, avec les quelques outils que nous avions à notre disposition. Plutôt que de céder à l’apathie, au dépérissement, un ruissellement d’idées nous a submergé, et nous avons pris le parti de créer à notre façon quelque chose que nous avions aperçu du coin de l'œil il y a longtemps déjà. Quelque chose que nous avions miroité pendant quelque temps, mais dont le premier pas semblait difficile. Comment ? Quand ? Avec quelle légitimité ?
Alors, quand les étoiles se sont alignées – et que l’une d’entre elles, Storm, brillant de mille feux, nous a permis de trouver l’espace dans lequel déverser ce flot – il n’était plus question de faire marche arrière. Nous avons décidé d’utiliser cet espace, portées par l’énergie naissance de la communauté que Storm commençait à faire émerger à Brooklyn, pour rassembler et engager vers notre transformation sociale, avec joie militante, et avec l’appui de la puissance collective.
Sortir du cadre
C’est alors que certaines de mes amies m’ont demandé : mais comment fais-tu la part des choses avec ton travail ? Comment peux-tu concilier ton rôle comme fonctionnaire internationale aux Nations unies, et comme animatrice d’un workshop militant ?
Forcément, ces questions je me les suis posées. Et je me les pose encore. Mais il en vient aussi à chacun de faire nos calculs, entre l'honnêteté intellectuelle et spirituelle, la loyauté vis-à-vis et la confiance dans ce qui est juste, et les responsabilités qui sont les miennes non seulement en tant que fonctionnaire internationale que citoyenne, et qu’être humain.
Si pour certains il peut s’avérer délicat de faire la part des choses, j’ai pour moi la conscience intime que cet agrégat de missions ne fait qu’amplifier mon être et ma vitalité en temps qu’être humaine. Elle me remplit de facettes complémentaires, nécessaires, et justes, pour croître en tant que citoyenne et en tant qu’activiste pour une société un peu plus juste.
Cette complémentarité me permet aussi de continuellement affiner mon regard critique vis-à-vis d’institutions défaillantes, qui ne sont clairement pas à la hauteur des responsabilités qui leur sont confiées. Ma duplicité, voire ma multiplicité de rôles et de chapeaux que j’emprunte à travers ces divers projets et activités n’est en aucun cas une contradiction. Elle est au contraire un ancrage multiple et complexe qui me permet de porter un regard sur les diverses institutions auxquelles je fais partie avec lucidité.
Il en va de même dans mon accès au professorat, alors que depuis quelques années j’ai la chance de pouvoir offrir quelques cours à des étudiants de Master au CELSA, qui s’apprêtent à rentrer dans la vie active. Je prends conscience de la responsabilité que cela contient : participer à guider ces étudiants à réfléchir, à questionner le monde, à se sentir légitimes dans leur complexité, et à développer une forme d’engagement au monde, de créativité, et de lutte contre l’apathie collective.
Enfin, cette complémentarité est aussi pour moi une forme de résistance en soi, une résistance à ce principe de nos sociétés modernes qui voudraient nous formater, nous fragmenter, nous organiser et nous faire respecter des cadres tellement stricts qu’ils viennent progressivement nous rétrécir, nous brider et nous faire exister de manière complètement dépendantes à ces cadres. Sans eux, on ne sait plus qui on est, on ne sait plus se définir autrement. C’est une société qui nous organise de sorte à nous faire comprendre qu’on aurait beaucoup à perdre à vouloir chercher à en sortir. On a à y perdre notre travail, notre sécurité financière, familiale, et jusqu’à notre raison même d’exister.
Il nous revient à nous seul.e.s de raconter nos histoires. De se bâtir une complexité d’être qui ne soit pas seulement arrimée au principe des institutions auxquelles on veut bien appartenir pour quelques années de notre vie. Il en va de tisser des liens qui nous permettent aussi de nous sortir de croyances parfois un peu trop ancrées, de perceptions un peu trop certaines, de convictions un peu trop indéboulonnables.
Alors oui, je me suis engagée dans ce travail d’activisme avec mon amie Amélie, et avec tout un tas d’autres amies et de connexions, et ça m’a demandé un peu de rébellion, un peu de courage pour sortir du cadre, et sans me jeter de fleurs (aussi parce que j’ai conscience que beaucoup d’entre nous n’ont pas les privilèges que j’ai de pouvoir simplement ne serait que risquer de perdre leur travail – non pas que c’est quelque chose dont je me remettrais facilement mais au moins j’ai un système et un tissu social qui je sais me permettra de m’en sortir), j’espère simplement que ce n’est qu’un début. Je crois qu’ils nous faut être un peu rebelles, un peu courageuses, mais je crois aussi profondément que cela nous sera récompensé par une vie plus riche, une vie d’excellence, pour citer Audre Lorde, et une vie multi-facettes pleine de beauté et de richesse.
“To encourage excellence is to go beyond the encouraged mediocrity of our society is to encourage excellence. But giving in to the fear of feeling and working to capacity is a luxury only the unintentional can afford, and the unintentional are those who do not wish to guide their own destinies.”
Contre la fragmentation et la séparation, faire le choix du lien
Militez avec des amis, étendez vos tissus sociaux, ouvrez-vous à des expériences qui enrichissent votre vie autant qu’elle puisse enrichir, ou adoucir, celles d’autrui. Soyez là où on ne vous attend pas. Surprenez, tendez vos bras, soyez un appui. Et surtout, jamais au grand jamais, autant que vous pouvez, ne vous rétrécissez dans ces cases imposées par notre société moderne qui voit d’un mauvais œil qu’on puisse sortir du cadre.
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